La Cour d’appel réitère le caractère privilégié du rapport de l’expert en sinistre

7 février 2023

Contexte :

Un incendie se déclare à la maison mobile de Christine McKnight (« Assurée ») en juin 2014. Son assureur, Promutuel Assurance Boréale (« Assureur »), nie couverture et refuse de l’indemniser puisqu’il considère qu’un acte intentionnel de l’Assurée est à l’origine de l’incendie.

La juge de première instance accueille en partie la réclamation de l’Assurée à l’encontre de son assureur estimant que ce dernier ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve. En effet, après examen de la preuve administrée, la juge constate l’absence d’éléments de preuve directe ou de présomptions graves, précises et concordantes démontrant le caractère intentionnel de l’incendie. Notamment, la juge n’a pas accordé de valeur probante au témoignage d’un des témoins importants de l’Assureur qui aurait permis de conclure à la présence de l’Assurée à sa maison au moment où l’incendie a pris naissance. Au contraire, la juge tirera une inférence négative de l’absence de deux premiers témoins de l’incendie lors du procès alors que leurs versions, telles que rapportées, contredisent deux témoins de l’Assureur.

Dans son arrêt rendu en décembre 2022, la Cour d’appel confirme le jugement rendu en première instance en rejetant l’appel logé par l’Assureur. Cependant, la Cour considère que la juge de première instance a commis une erreur en rejetant une objection de l’Assureur fondée sur le privilège relatif au litige s’appliquant aux communications entre l’expert en sinistre qu’elle avait mandaté et des témoins. Le présent texte s’attarde principalement sur l’étude du caractère privilégié du rapport de l’expert en sinistre par la Cour.

Jugement de première instance :

Dans le cadre de son enquête, l’Assureur a fait appel à un expert en sinistre ayant recueilli les versions de certains témoins directs de l’incendie qui mettaient à mal la fiabilité d’un témoin clé retenu par l’Assureur pour démontrer l’acte volontaire de l’Assurée. L’Assureur s’est objecté à la présentation de cette preuve, à savoir les communications intervenues entre l’expert en sinistre et ces témoins, invoquant le privilège relatif au litige.

Dans sa décision, la juge rejette l’objection en s’appuyant sur le principe voulant que le privilège relatif au litige s’attache aux documents dont l’objet principal est la préparation du litige. Ne serait donc pas suffisant qu’un objet important du document soit la préparation du litige : il devrait plutôt s’agir de son objet principal. La juge conclut que les communications de l’expert en sinistre avec les témoins en question n’ont pas été faites principalement en vue de la préparation d’un litige, mais plutôt dans le cadre de son enquête sur la cause de l’incendie. L’Assureur n’ayant pas démontré que l’objet principal des communications était la préparation d’un litige potentiel avec son Assurée, la preuve de celles-ci est permise d’autant plus que la divulgation de cette preuve favorise, selon la juge, un débat loyal au sens de l’article 20 du Code de procédure civile.

Jugement de la Cour d’appel :

Au stade de l’appel, l’Assureur ne remet pas en question la conclusion de la juge voulant que l’objet des communications entre l’expert en sinistre et certains témoins était de faire enquête sur la cause du sinistre. L’Assureur prétend plutôt que le privilège relatif au litige s’applique à tout rapport d’expert en sinistre, peu importe si le litige existe au moment où le rapport est rédigé.

La Cour d’appel confirme la prétention de l’Assureur et retient que la juge de première instance a commis une erreur en l’espèce. La Cour d’appel réitère les principes applicables en matière de privilège relatif au litige, dont ceux soulignés dans l’arrêt Blank1, mais surtout ceux apportés par l’arrêt Union canadienne (L’), compagnie d’assurances c. St-Pierre2 qui traitait spécifiquement de la communication des rapports d’un expert en sinistre retenu par un assureur et dont l’approche a été reprise dans Solomax3.

Or, l’interprétation subséquente de ces arrêts par la jurisprudence et la doctrine confirme le « principe qu’un rapport d’un expert en sinistre est présumé bénéficier du privilège relatif au litige », principe qui distingue le Québec des autres provinces en la matière et où on y applique cette interprétation de manière uniforme depuis. Soulignons que la Cour d’appel ne voit pas en quoi le fait pour l’expert en sinistre de compléter son enquête permet d’écarter l’application du privilège, et ce, que le litige soit né ou non au moment des déclarations4.

Cependant, la Cour d’appel conclut que l’erreur commise par la juge de première instance ne commande pas son intervention puisque l’Assureur n’a pas démontré que l’erreur en question aurait eu une influence sur l’issue du litige. En effet, même sans les déclarations des témoins tirées du dossier de l’expert en sinistre, des versions de ces témoins relatées par d’autres témoins entendus au procès pouvaient permettre à la juge de tirer une inférence négative de l’omission de l’Assureur de les faire entendre. Le moyen d’appel n’est donc pas retenu au final par la Cour d’appel, l’erreur n’étant pas déterminante sur le sort du litige.

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1 Blank c. Canada (Ministre de la justice), 2006 CSC 39.
2 Union Canadienne (L’), compagnie d’assurances c. St-Pierre, 2012 QCCA 433. Il est à noter que la décision dont appel ne fait pas mention de cet arrêt.
3 Compagnie d’assurances AIG du Canada c. Solomax International inc., 2016 QCCA 258, par.8.
4 La Cour d’appel se permet tout de même d’observer que comme une partie peut renoncer à ce privilège et dans la mesure où l’Assureur a choisi d’interroger son expert en sinistre sur le contenu de son dossier permettant les questionnements de la juge, la situation en l’espèce aurait possiblement pu donner ouverture à renonciation du privilège.

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