Une décision fort intéressante rendue par la Cour d’appel de l’Ontario et portant sur une clause d’exclusion attire notre attention1. Bien qu’elle émane d’une autre province, les conclusions tirées n’en demeurent pas moins pertinentes en matière d’assurance responsabilité. La Cour se prononce sur l’obligation de défendre d’un assureur qui s’y opposait en raison de l’existence d’une clause d’exclusion portant sur la pollution.
Les faits
Les services de John Hemlow (« Hemlow ») sont retenus par Wear-Check afin de procéder à l’échantillonnage ainsi qu’à l’analyse des systèmes mécaniques et de réfrigération de sa cliente, Rich Products of Canada Limited (« Rich Products »). Le 6 juillet 2015, Hemlow ouvre la valve d’une conduite contenant de l’ammoniac sous pression dont la fuite entraînera sa mort ainsi que d’importants dommages à la propriété de Rich Products. Concluant à la négligence d’Hemlow dans l’exécution de son travail, Rich Products intente un recours contre sa succession et Wear-Check, leur réclamant le remboursement des dépenses encourues ainsi que la compensation des pertes commerciales et des dommages matériels causés à sa propriété.
Hemlow étant détenteur d’une police d’assurance responsabilité civile générale des entreprises auprès de Co-Operators au moment du sinistre, la succession requiert qu’elle la défende. Co-Operators refuse et invoque l’application de l’exclusion « Total Pollution » contenue à la police. Elle prétend que les dommages à la propriété résultent de la fuite d’ammoniac, un polluant au sens de la police. Ainsi, les dommages seraient spécifiquement exclus en vertu de la clause « Total Pollution Exclusion » comprise dans un avenant signé postérieurement à l’émission de la police.
C’est dans ce contexte que la succession intente un recours contre Co-Operators afin de la forcer à assumer sa défense dans le cadre du recours en dommages intenté par Rich Products contre elle.
Le jugement de première instance
Le juge de première instance accueille la demande et confirme l’obligation de défendre de Co-Operators. D’abord, comme la clause d’exclusion en question ne définit pas le terme « polluants » et qu’il y a lieu de se référer à une autre section de la police pour en comprendre la signification, le juge estime que la définition ne peut être considérée comme liée à la clause d’exclusion et qualifie cette clause d’ambigüe. Au surplus, la clause est qualifiée de trompeuse en ce qu’elle ne comprend pas seulement les évènements qu’une personne associerait normalement à la pollution, mais également tout accident causant des dommages à la propriété d’un client. La clause serait donc indûment étendue et ne viserait pas nécessairement la pollution environnementale au sens habituel.
Appel rejeté :
La Cour d’appel donne également raison à la succession d’Hemlow, mais est d’opinion que les parties ont, à tort, orienté leur différend sur l’interprétation de l’exclusion portant sur la pollution, et ce, sans tenir compte de la nature de la réclamation présentée contre la succession. Or, ces réclamations sont plutôt fondées sur la négligence, les ennuis subis et le manquement aux obligations contractuelles.
Suivant le principe de l’arrêt Nichols, selon lequel l’existence de l’obligation de défendre dépend de la nature de la réclamation invoquée, une réclamation pour manquement à des obligations contractuelles et négligence relève des termes de la police responsabilité civile générale des entreprises. Ainsi, pour la Cour, l’obligation de l’assureur de défendre son assuré peut subsister malgré l’existence d’une exclusion portant sur la pollution telle que libellée à la police.
Bien qu’elle fonde sa décision sur la nature du recours entrepris par Rich Products, la Cour commente la clause d’exclusion telle que rédigée. Elle retient qu’elle aurait pu trouver application dans les cas où le polluant cause des dommages environnementaux nécessitant des coûts de réparation, de nettoyage et de décontamination et qu’il y ait réclamation en ce sens. Une telle réclamation s’inscrit dans l’objectif historique de ce type de clause, soit de restreindre la couverture des coûts des travaux de nettoyage et de décontamination exigés par la législation existante et ce, dans le but de tenir les pollueurs responsables de leurs dommages environnementaux. Il s’agit pour la Cour d’un risque différent de ce qui s’est produit et de ce qui est réclamé en l’espèce.
Au Québec
La Cour d’appel de l’Ontario applique les principes généraux dégagés dans les arrêts Progressive Homes et Nichols en matière d’obligation de défendre, lesquels sont également appliqués au Québec. D’ailleurs, la Cour d’appel du Québec confirmait encore récemment qu’il « est d’usage en droit des assurances de puiser dans les principes de common law comme droit supplétif au nôtre »2.
Ainsi, l’affaire Hemlow pourrait être transposée en droit québécois. Lors d’une réclamation, dès qu’il y a une possibilité que les dommages matériels soient couverts par la police d’assurance, l’obligation de défendre est déclenchée. Il y a donc lieu de cerner la nature de cette réclamation puisque c’est elle qui doit faire l’objet d’une exclusion pour éviter que l’obligation de défendre ne soit déclenchée suivant le raisonnement élaboré dans Hemlow.
Soulignons que l’obligation de défendre de l’assureur a une portée plus large que l’obligation d’indemniser. Ainsi, si la preuve au fond démontre que la réclamation est exclue aux termes de la police d’assurance, il est évident que l’assureur n’aura pas l’obligation d’indemniser.
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Les auteures souhaitent remercier Mme Imene Lammali, étudiante en droit, pour son apport dans la rédaction du présent billet.
1Hemlow Estate v. Co-operators General Insurance Company, 2021 ONCA 908.
2Développement les Terrasses de l’Île inc. c. Intact, 2019 QCCA 1440, par. 32.