Cellulaire au volant : nouveautés relativement à l’utilisation de la fonction haut-parleur et à la notion d’immobilisation du véhicule

8 décembre 2020

Crédit: Unsplash Damir Kopezhanov

Cet article a paru dans l’édition de décembre 2020 du répertoire de décisions commentées Repères publié aux éditions Yvon Blais.

Commentaire sur la décision Poulin c. Ville de Rosemère – Cellulaire au volant : nouveautés relativement à l’utilisation de la fonction haut-parleur et à la notion d’immobilisation du véhicule

Dans Poulin c. Ville de Rosemère1, la Cour supérieure, siégeant en appel d’une déclaration de culpabilité de la Cour municipale fondée sur l’article 443.1 du Code de la sécurité routière (ci-après « C.s.r. »), se prononce sur l’exception relative à l’utilisation d’un dispositif mains libres lorsque ledit dispositif est, en réalité, le passager du véhicule. La Cour conclut que le dispositif mains libres peut tout autant être interne à l’appareil (haut-parleur) qu’externe (Bluetooth). Il s’ensuit qu’un conducteur peut légalement tenir une conversation avec la fonction haut-parleur activée alors que l’appareil est maintenu par le passager. La Cour se prononce également sur la légalité de l’utilisation et de la manipulation d’un téléphone cellulaire lorsque le véhicule est immobilisé à l’intérieur d’un lave-auto. À cet égard, elle distingue un véhicule immobilisé d’un véhicule stationné et conclut qu’en cas d’immobilisation les restrictions concernant l’usage d’un appareil cellulaire s’appliquent.

I- LES FAITS
En première instance, l’appelant est déclaré coupable d’avoir fait usage d’un téléphone cellulaire en conduisant, en contravention à l’article 443.1 C.s.r. Selon le policier, l’infraction aurait été commise alors que l’appelant tenait son téléphone cellulaire à la main en entrant dans le stationnement d’une station-service, puis au volant de son véhicule dans un lave-auto. L’appelant allègue ne pas avoir manipulé le téléphone puisque sa conjointe maintenait le téléphone dans sa main, avec la fonction haut-parleur activée, de manière à ce qu’il puisse tenir une conversation avec son interlocuteur. Il admet toutefois avoir repris le téléphone entre ses mains à l’intérieur du lave-auto.

II- LA DÉCISION
La Cour supérieure rappelle d’abord le cadre juridique applicable à la présente affaire. Les dispositions adoptées en 2018 relativement aux distractions au volant établissent un principe général selon lequel il est interdit au conducteur d’un véhicule routier et au cycliste de faire usage notamment d’un téléphone cellulaire, à moins d’une exception prévue par la loi ou un règlement.

L’article 443.1 C.s.r. énonce deux exceptions.

La première est l’utilisation de la fonction téléphonique d’un appareil au moyen d’un dispositif mains libres. À cet égard, la Cour conclut que le juge de première instance a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’expression « dispositif mains libres », car un tel dispositif peut être externe ou interne à un téléphone cellulaire. La Cour se réfère à la définition donnée par l’article 211 de la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions2, laquelle a complètement été ignorée par le juge de première instance. Essentiellement, cette définition prévoit que le dispositif doit permettre de faire fonctionner un appareil, notamment un téléphone cellulaire, au moyen d’une commande vocale ou d’une commande manuelle simple que le conducteur peut actionner sans être distrait de la conduite de son véhicule.

La deuxième exception permet la consultation ou l’utilisation de l’écran lorsque les conditions prévues au second alinéa de l’article 443.1 C.s.r. sont réunies. La Cour souligne qu’un conducteur qui fait usage à la fois de la fonction téléphonique d’un appareil et de son écran ou d’un autre écran doit respecter les conditions propres aux deux exceptions ci-dessus.

Ce faisant, la Cour est d’avis que si la version des faits du conducteur avait été retenue ou avait soulevé un doute raisonnable, cela lui aurait permis de bénéficier d’un acquittement, du moins en ce qui concerne la portion de l’infraction commise à l’extérieur du lave-auto. En effet, selon la version du conducteur, ce dernier n’aurait jamais manipulé le téléphone cellulaire de quelque façon que ce soit ni consulté ou utilisé un écran en faisant usage de son téléphone. Il s’agit toutefois de considérations relevant de l’appréciation de la preuve et le choix de retenir la version du policier mérite déférence.

Cela dit, la Cour rejette tout de même l’appel considérant l’illégalité de l’usage de l’appareil cellulaire à l’intérieur du lave-auto. En effet, à l’instar du juge de première instance, la Cour confirme que l’article 443.1 C.s.r. s’applique à l’intérieur d’un lave-auto puisqu’il s’agit essentiellement d’un terrain où le public est autorisé à circuler, et ce, malgré l’exigence d’un paiement pour y accéder. Ainsi, bien que l’article. 443.7 C.s.r. prévoit que les restrictions relatives à l’usage d’un cellulaire ne trouvent pas application lorsque le véhicule est légalement stationné, cette exception ne peut s’appliquer en l’espèce puisque le véhicule du conducteur n’était simplement qu’immobilisé.

III- LE COMMENTAIRE DES AUTEURS
La décision commentée met fin au courant jurisprudentiel selon lequel l’utilisation de la fonction téléphonique par un conducteur via le système haut-parleur d’un téléphone cellulaire, lorsque l’appareil est tenu par un passager, constitue une infraction au sens du C.s.r.3.

En effet, la décision apporte un intéressant éclairage sur l’interprétation et l’application de l’article 443.1 C.s.r. Il nous apparaît juste que les termes « dispositif mains libres » englobent le système interne de l’appareil. Essentiellement l’objectif de la loi est d’éviter les sources de distraction au volant et non pas d’interdire toute forme de distraction. En effet, en prévoyant des exceptions, telles que l’utilisation d’un dispositif mains libres pour la fonction téléphonique, le législateur permet certains usages. Il nous apparaît donc cohérent qu’un conducteur puisse utiliser le dispositif mains libres interne d’un appareil (haut-parleurs), à l’instar d’un dispositif externe comme le Bluetooth, dans la mesure où le dispositif correspond à la définition prévue dans cette loi, soit un dispositif permettant de faire fonctionner l’appareil, au moyen d’une commande vocale ou d’une commande manuelle simple que le conducteur peut actionner sans être distrait de la conduite de son véhicule.

Il est donc légalement possible d’utiliser la fonction haut-parleur d’un téléphone cellulaire ou d’un autre appareil portatif en utilisant par exemple, une commande vocale ou en donnant certaines directives au passager. Toutefois, si le conducteur doit manipuler le téléphone ou doit consulter ou manipuler un écran pour utiliser une commande vocale ou la fonction haut-parleur, l’appareil devra être intégré au véhicule ou y être fixé sur un support, amovible ou non.

Rappelons simplement que l’utilisation de la fonction téléphonique d’un appareil portatif combiné à l’utilisation d’un écran, par exemple en le touchant ou le consultant en vue de répondre, de raccrocher ou d’ajuster le volume ne sera légale que si les conditions suivantes sont réunies :

(1) le support est intégré au véhicule ou installé sur un support, amovible ou non, fixé au véhicule ;

(2) l’écran affiche uniquement des informations utiles à la conduite du véhicule ou liées au fonctionnement de ses équipements usuels ;

(3) l’écran est placé de manière à ne pas gêner la vue du conducteur ou du cycliste ;

(4) il est possible de consulter l’écran et de le faire fonctionner sans gêner la conduite.

Enfin, cette décision souligne également l’importante distinction entre les notions de stationnement et d’immobilisation d’un véhicule. Tel qu’énoncé par la Cour, un véhicule immobilisé en raison de la congestion routière à une lumière rouge ou à un arrêt obligatoire ne pourra pas bénéficier de l’exception contrairement au véhicule stationné en bordure de la rue ou dans une aire de stationnement, puisque le conducteur doit rester attentif à la circulation. En faisant usage de son cellulaire dans un lave-auto, le conducteur était en infraction puisque son attention restait requise pour suivre les instructions, notamment avancer son véhicule à la station de séchage.

CONCLUSION
Deux enseignements se dégagent de la décision commentée. D’abord, nous pouvons retenir que l’utilisation d’un dispositif mains libres interne à l’appareil cellulaire (hautparleurs) est légalement possible sans que ce dernier soit fixé au véhicule, dans la mesure où le conducteur ne procède à aucune manipulation ou consultation de l’appareil en question. Par exemple, lorsque c’est le passager qui manipule et tient le téléphone. Ensuite, retenons que l’usage d’un téléphone est prohibé sur tout terrain où le public est autorisé à circuler quand le véhicule est simplement immobilisé. En effet, la simple immobilisation ne suffit pas pour exempter le conducteur de l’interdiction d’utiliser un téléphone ; l’utilisation d’un téléphone au volant d’un véhicule ne sera permise que s’il est légalement stationné.

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1  2020 QCCS 2010, EYB 2020-355343.
2  L.Q. 2018, c. 7.
3  Ville de Montréal c. Langelier-Aouad, 2019 QCCM 173, EYB 2019-329491.

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