Bulletin de Jurisprudence Octobre 2018

22 octobre 2018

pilote-catherine Par : Me Catherine Pilote-Coulombe
La Cour suprême interprète la clause de « garde, direction ou gestion »

Le 19 octobre 2018, la Cour suprême a rendu le très attendu arrêt 3091-5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2018 CSC 43 (« Éconolodge ») infirmant le jugement de la Cour d’appel à l’égard de l’application de la clause d’exclusion de « garde, direction ou gestion » aussi appelée la clause de « garde et contrôle ».

Les faits
Le litige est survenu dans le cadre du service appelé « park and fly » proposé par les établissements hôteliers situés à proximité des aéroports offrant aux voyageurs un forfait d’une nuitée à l’hôtel et la possibilité d’y laisser la voiture durant leur voyage, en plus du service de navette entre l’hôtel et l’aéroport.

À leur retour de voyage, deux clients de l’hôtel ayant eu recours à ce type de forfait constatent le vol de leur véhicule. Les évènements sont survenus durant les mois d’hiver alors que l’hôtel garde les clés des voitures de ses clients partis en voyage afin de déplacer les voitures pour assurer un déneigement adéquat du stationnement, ce qu’il ne fait pas durant les mois d’été. Les assureurs ayant indemnisé les clients réclament le coût de la voiture à Éconolodge qui appelle en garantie son assureur responsabilité civile, La compagnie d’assurance Lombard (« Lombard »). Cette dernière invoque la clause d’exclusion « garde, direction ou gestion » et nie couverture.

L’essentiel du débat réside sur l’application de la clause d’exclusion. Lombard invoque que la remise des clés par le client à l’hôtel durant les mois d’hiver transfère à ce dernier la garde et le contrôle du véhicule, déclenchant l’application de la clause d’exclusion.

Le jugement de première instance
La Cour du Québec 1 refuse d’appliquer la clause d’exclusion puisque cela mènerait à un résultat absurde selon lequel l’assurée ne bénéficierait de la couverture d’assurance que durant les mois d’été. Selon le juge, l’hôtel n’acquiert pas de « véritable pouvoir de préservation, de conservation, de direction et de contrôle physique » sur les voitures de ses clients. Le juge conclut plutôt que l’établissement est astreint à un simple devoir de prudence et de diligence.

La Cour d’appel
La Cour d’appel 2 considère que la juge de première instance a erronément tenté de trouver une solution applicable à tous les cas, omettant ainsi de tenir compte des circonstances particulières de l’espèce, soit la remise des clés par les clients. Cet élément est déterminant pour l’application de la clause d’exclusion.

La Cour fait la distinction entre une clause qui vise le comportement de l’assurée, par opposition à une clause qui vise des biens spécifiquement exclus, comme c’est le cas pour la clause de garde, direction ou gestion. L’objectif de cette clause est d’éviter que l’assureur ne soit tenu d’indemniser des dommages qui ne découlent pas des activités usuelles de l’assurée.

Ce faisant, la Cour conclut que la remise des clés confère à Éconolodge un réel pouvoir de « préservation, de conservation, de direction et de contrôle physique sur les voitures de ses clients », et applique la clause d’exclusion.

La Cour suprême
La Cour suprême accueille l’appel et rétablit le jugement de première instance. Elle considère que la seule remise des clés par le client ne transfère pas automatiquement à l’assurée un pouvoir de garde et de contrôle sur le bien. En effet, la détermination de la garde est une question qui dépend éminemment des circonstances, dont, surtout, de la raison pour laquelle les clés ont été remises. Cette analyse permet de distinguer la garde de la simple détention physique d’un bien. La première confère un pouvoir général sur le bien, qui implique un devoir de conservation, et la seconde confère un pouvoir sur le bien limité à certaines situations circonscrites par la raison ayant motivé la remise des clés. La Cour suprême conclut que c’est uniquement pour assurer le déneigement du stationnement en cas d’accumulation de neige que les clés sont remises, et que le pouvoir d’Éconolodge sur les voitures se limite à cette seule situation.

La Cour ajoute que cette solution est conforme au courant selon lequel les tribunaux sont réticents à exclure de la couverture les activités principales d’un assuré. En effet, le stationnement des voitures est une composante cruciale du service de type « park and fly » et permettre l’application de la clause d’exclusion dans les présentes circonstances « minerait l’utilité de la garantie quant à l’une des activités principales de l’assurée ».

Par conséquent, la juge de première instance a eu raison de considérer qu’il n’y a pas eu transfert de la garde juridique du bien et que la clause d’exclusion de « garde, direction et gestion » ne trouve pas application.

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1 Axa Assurances inc. c. 3091-5177 Québec inc. (Econolodge Aéroport), 2015 QCCQ 1539.
2 Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. Promutuel Portneuf-Champlain, 
société mutuelle d'assurances générales, 2016 QCCA 1903.
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