Le 24 novembre 2019, toutes les entreprises au Québec devront se conformer aux règles d’affichage adoptées trois ans plus tôt en réponse à l’arrêt Best Buy[1]. La Cour d’appel de la province de Québec avait alors réaffirmé clairement le droit pour les entreprises d’afficher leur(s) marque(s) de commerce au Québec dans une autre langue que le français.
La réponse du gouvernement fut l’adoption du décret 887-2016 adoptant le Règlement modifiant le Règlement sur la langue du commerce et des affaires[2] entrées en vigueur le 24 novembre 2016. Les nouvelles règles qu’il contient sont en effet applicables depuis cette date pour tout nouvel affichage commercial ou remplacement d’affichage existant.
Toutefois, c’est à l’égard des affichages existants que l’article 2 de ce règlement est venu accorder aux entreprises un délai de grâce de trois ans pour se conformer.
Ces règles peuvent potentiellement exiger des modifications importantes sur la manière dont les entreprises affichent leur marque de commerce, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs places d’affaires.
Pour aider les entreprises à effectuer la transition, l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF ») a publié un guide illustré d’exemples permettant une compréhension globale des nouvelles dispositions réglementaires. Évidemment, une telle publication peut être utile mais ne remplace aucunement le texte règlementaire qui est beaucoup plus détaillé. Ce guide est disponible sur le site internet de l’OQLF[3].
Vous êtes curieux de savoir si votre affichage est conforme à cette nouvelle réglementation? Nous vous invitons à poursuivre votre lecture et la compléter avec le graphique joint au présent article qui saura, nous l’espérons, vous aider à répondre à cette question.
Voyons les principaux concepts en cause.
I) Le principe
Rappelons que la Charte de la langue française[4] (la « Charte ») édicte comme principe général que l’affichage public au Québec doit être en langue française. Le paragraphe 25(4) du Règlement sur la langue du commerce et des affaires[5] prévoit quant à lui qu’une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce[6] peut, dans l’affichage public, être rédigée uniquement dans une langue autre que le français, sauf si une version française de cette marque a été déposée (c’est-à-dire, enregistrée). Auquel cas, l’emploi de la version française au Québec doit être privilégiée à la version dans l’autre langue. Notons ici que l’autorité gouvernementale régissant l’enregistrement des marques de commerce au Canada est l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC)[7]
Le but de ces dispositions est évidemment d’assurer la présence (ou devrait-on plutôt dire la préséance) du français dans le paysage linguistique du Québec en établissant la règle de la nette prédominance prévue à la Charte.
L’affichage d’une marque de commerce rédigée dans une langue autre que le français est donc évidemment possible, pour autant que le français soit présenté dans cet affichage de façon nettement prédominante. Cette notion de nette prédominance est définie au Règlement précisant la portée de l’expression « de façon nettement prédominante » pour l’application de la Charte de la langue française[8] et est tributaire de l’impact visuel créé par l’affichage, lequel différera selon que les mots affichés (en français et dans l’autre langue) se situent sur la même affiche ou non.
Sur une même affiche, le texte français sera considéré comme ayant atteint le seuil exigé d’impact visuel prévu par le règlement dans la mesure où les caractéristiques suivantes sont réunies :
(i) l’espace consacré au texte rédigé en français est au moins deux fois plus grand que celui consacré au texte rédigé dans l’autre langue; et
(ii) les caractères utilisés dans le texte rédigé en français sont au moins deux fois plus grands que ceux utilisés dans le texte rédigé dans l’autre langue; et
(iii) les autres caractéristiques de cet affichage n’ont pas pour effet de réduire l’impact visuel du texte rédigé en français.
Attention, ces caractéristiques s’appliquent aux textes qui accompagnent une marque de commerce et non à la marque elle-même. Par exemple, l’affichage ci-dessous ne serait pas conforme à la règle considérant que l’espace consacré au mot « CAFÉ » n’est pas au moins deux fois plus grand que celui occupé par le mot « COFFEE » et que les caractères utilisés pour ces deux mots sont de même dimension :
Les autres caractéristiques de cet affichage n’ont toutefois pas pour effet de réduire l’impact visuel du texte rédigé en français. Au contraire, ces autres caractéristiques semblent plutôt militer en faveur de l’augmentation de cet impact visuel en raison du fait que le mot « CAFÉ » est situé au-dessus des autres mots et qu’il se présente en premier dans l’affichage (ce qui peut toutefois n’être que par souci de respecter les syntaxes linguistiques, tant française qu’anglaise).
Évidemment, comme dans l’exemple illustré ci-dessous, si le texte qui accompagne la marque de commerce est uniquement présenté en français dans l’affichage, un tel affichage respecte la réglementation.
Lorsque les textes (en français et dans l’autre langue) sont apposés sur des affiches distinctes de dimensions différentes, le texte français sera alors réputé atteindre le niveau requis d’impact visuel si les caractéristiques suivantes sont réunies :
(i) les affiches sur lesquelles figure le texte rédigé en français sont au moins aussi nombreuses que celles sur lesquelles figure le texte rédigé dans l’autre langue; et
(ii) les affiches sur lesquelles figure le texte rédigé en français sont au moins deux fois plus grandes que celles sur lesquelles figure le texte rédigé dans l’autre langue; et
(iii) les caractères utilisés dans le texte rédigé en français sont au moins deux fois plus grands que ceux utilisés dans le texte rédigé dans l’autre langue; et
(iv) les autres caractéristiques de cet affichage n’ont pas pour effet de réduire l’impact visuel du texte rédigé en français.
II) Les différents supports
Les règles d’affichage que nous avons vu s’appliquent à tout affichage extérieur ou qui peut être vu de l’extérieur, à savoir :
(i) un affichage apposé sur un mur extérieur d’un immeuble (lié à l’immeuble ou fixé sur celui-ci);
(ii) un affichage apposé à l’extérieur d’un local situé à l’intérieur d’un immeuble (ex. un local dans un mail ou un centre commercial);
(iii) un affichage situé à l’intérieur d’un immeuble ou d’un local et qui peut être vu de l’extérieur; et
(iv) un affichage situé à l’extérieur d’un immeuble sur une borne ou une structure indépendante de cet immeuble;
mais elles ne s’appliquent pas aux affichages suivants :
(v) aux structures de type « totem » sur lesquelles plus de deux marques de commerce figurent; et
(vi) aux autres bornes ou structures indépendantes (non fixées ou apposées sur un immeuble) affichant une marque de commerce lorsque cette même marque fait également l’objet d’un affichage extérieur sur l’immeuble (et pour lequel les règles s’appliqueront).
À titre d’exemple et pour illustrer ce qui précède, l’affichage de la marque SECOND CUP® présentée sur la structure de type « totem » ci-dessous est conforme à la réglementation en raison de l’affichage de cette même marque sur la devanture de l’immeuble et dans laquelle les termes génériques « LES CAFÉS » ont été ajoutés. Ici, les termes génériques sont seulement rédigés en français, raison pour laquelle l’affiche est conforme. La conclusion serait évidemment différente si le terme générique « COFFEE » était également affiché en caractères de même dimension.
III) La présence suffisante du français
L’affichage d’une marque de commerce rédigée dans une autre langue que le français est donc permis si la présence du français sur les lieux est suffisante. Cette finalité peut être atteinte de plusieurs manières. Ainsi, comme nous l’avons vu dans l’exemple ci-dessus, l’ajout d’un terme générique (ex. Aliments), de termes génériques descriptifs (ex. Aliments biologiques), d’un slogan (ex. Votre destination santé bio) ou de toute autre mention d’information destinée à la clientèle (ex. « Fier de vous offrir des aliments sains et bio depuis 2010 ») fera en sorte d’assurer cette présence suffisante du français sur les lieux.
Pour conférer une présence suffisante du français, encore faut-il que l’affichage complémentaire soit à la fois lisible et visible :
(i) Être lisible
La règle ici est que la lisibilité de la marque de commerce et de l’affichage complémentaire doit être assurée dans le même champ visuel. Il ne serait donc pas possible, par exemple, d’afficher une marque de commerce dans une autre langue que le français sur la devanture d’un immeuble et un slogan en français sur un autre côté du même immeuble.
De prime abord, on peut penser que la lisibilité est un critère quelque peu subjectif. Nous ne disposons effectivement pas tous de la même acuité visuelle; ce qui est lisible pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre! Pour juger du caractère de la lisibilité sur une base objective, le législateur a donc situé l’observateur par rapport à la situation de l’affichage. En résumé :
(ii) Être visible
La visibilité de l’affichage complémentaire doit être permanente et similaire à celle dont bénéficie la marque de commerce rédigée dans une autre langue que le français. C’est donc dire qu’une simple banderole amovible ne présentant aucun caractère permanent ne passe pas le test si la marque de commerce, quant à elle, est affichée sur une enseigne éclairée fixée à la devanture d’un immeuble.
L’affichage complémentaire doit également bénéficier du même éclairage que la marque de commerce.
Ces règles, vous en conviendrez, sont d’une simplicité désarmante! Et sans vouloir miner votre optimisme, sachez qu’elles sont assorties des pénalités déjà prévues à la Charte en cas de contravention. C’est ainsi qu’une entreprise contrevenante est susceptible de se voir imposer une amende d’au moins 1 500 $ et d’au plus 20 000 $ pour une première infraction. En cas de récidive, ces amendes sont doublées.
Espérons que dans leur application, les autorités feront preuve de souplesse afin d’accompagner les entreprises et les encourager à respecter la réglementation au moyen d’une approche collaborative plutôt qu’une application stricte et coercitive, d’autant plus que le respect de ces règles peut nécessiter des modifications importantes aux affichages existants et entraîner des dépenses substantielles et assurément non anticipées au budget des entreprises faisant affaire au Québec.
Alors ne perdez pas de temps; hâtez-vous de mesurer les dimensions des caractères de vos affiches, de bien fixer celles-ci à vos murs et devantures, de changer vos ampoules fluorescentes défectueuses et de bien calibrer vos systèmes d’éclairage! Gageons que vous serez prêt pour le 24 novembre 2019.
[1] Québec (Procureure générale) c. Magasins Best Buy ltée, EYB 2015-251574 (C.A., 27 avril 2015).
[2] D. 887-2016, 2016 G.O. 2, 5800.
[3] https://www.oqlf.gouv.qc.ca/francisation/entreprises/201610_guide_affichage-marques-commerce.pdf.
[4] RLRQ, c. C-11.
[5] C-11, r. 9.
[6] L.R.C. 1985, c. T-13.
[8] C-11, r. 11